NAISSANCE D'UN MOUVEMENT
Quelques années seulement après l’ouverture forcée du Japon par l’escadre du contre-amiral Matthew Perry, l’art japonais pénètre en Europe : objets décoratifs, mobilier, éventails, peignes, ombrelles, kimonos, estampes séduisent l’avant-garde d’une bourgeoisie émerveillée par cette civilisation encore méconnue, comme les milieux aristocratiques l’avaient été au XVIIIe siècle par la Chine.
Le monde pictural britannique en recueille les premiers fruits. James Abbott McNeill Whistler, pour s’écarter de l’académisme encore prégnant à Londres, s’inspire de l’art japonais pour frayer une voie nouvelle : dès 1864, il peint son fidèle modèle, Jo, vêtue d’un kimono et entouré d’estampes au pied d’un paravent. De nombreuses toiles de la même inspiration jalonneront le parcours de cet artiste inventif et de ses élèves.
Son ami, le Franco-britannique James Tissot, vivait à Paris au milieu d’objets japonais offerts par le prince Akitake, venu représenter l’Empereur à l’Exposition universelle de 1867 où le pavillon japonais fut pour beaucoup une révélation. Il émaillera son œuvre de références nippones.
Ces artistes ouvrent la voie mais se limitent souvent à créer une « ambiance » en incluant dans leurs tableaux des costumes ou objets japonais. L’impressionnisme va faire un pas de plus en s’inspirant des estampes. Celles-ci apparaissent en Occident dans les années 1860 et engendrent rapidement l’adhésion de nombreux artistes qui découvrent émerveillés ce que décrivait dès 1661 le romancier japonais Asai Ryoi : « Vivre seulement pour le présent, contempler la lune, la neige, les cerisiers en fleurs et les feuilles d’automne, aimer le vin, les femmes et les chansons, se laisser porter par le courant de la vie comme la gourde au fil de l’eau : voilà ce que nous appelons le monde flottant », l’ukiyo-e.
Les œuvres de la fin du XVIIIe et du début du XIXe siècle de Kiyonaga et Utamaro, puis d’Hiroshige et d’Hokusai, qui avaient marqué l’âge d’or de cet art bien spécifique retrouvent, grâce à l’Occident, une nouvelle jeunesse.
L’impressionnisme s’empare de ce souffle venu du grand-Est. De nombreuses toiles de Degas, Monet, Van Gogh, Gauguin, Picasso et d’autres témoignent de la véritable découverte que leur apporte l’art nippon : la couleur et l’audace des compositions. Se mêlent ainsi dans une harmonie naturelle rouge, vert, jaune, bleu dont les éclats font oublier l’académisme et le monde en demi-ton de la première moitié du siècle.
Claude Monet (1840-1926) se laisse d’abord tenter par l’exotisme qu’apporte à ses débuts le japonisme en peignant sa femme vêtue d’un kimono sur un fond d’éventails. Mais il se laisse peu à peu « impressionné » par les « images du monde flottant » pour faire émerger un nouveau spectacle de la nature par des jeux de couleurs mêlées comme en témoignent les pyramides de Port-Coton de Belle-Île où quand il peint le pont japonais du jardin de sa maison de Giverny où le visiteur d’aujourd’hui découvre, dans ses salons intacts, toute sa collection d’estampes japonaises exactement là où il avait voulu les accrocher.
Le lien avec le Japon est également étroit chez Vincent Van Gogh (1853-1890) qui s’exerce à pasticher les estampes (Le pont sous la pluie), à les introduire dans des portraits (Le père Tanguy) et à recréer l’ambiance fleurie de l’empire du soleil levant (Les amandiers en fleur).
Paul Gauguin (1848-1903) collectionne lui aussi les estampes et joue du pittoresque comme dans sa nature morte ornée d’un guerrier nippon mais il dépasse vite cette étape en inventant une peinture ou les traits marqués et les couleurs vigorées réinventent le cloisonnement si particulier des gravures japonaises sur bois. Gauguin sera aussi le premier à ne plus se contenter du spectacle européen et à aller chercher, au-delà même de l’Extrême-Orient, un monde autre, dans les profondeurs de la diversité des cultures.
Pablo Picasso (1881-1973) ira bien au-delà. Lui aussi curieux dans sa prime jeunesse du mystère oriental qu’incarne la célèbre danseuse de l’époque, Sada Yakko , il construira son univers en ne retenant bientôt du Japon que la géométrie de ses estampes érotiques.
Une mention particulière doit être faite : celle de Mary Cassat (1844-1926) qui inaugure une lignée de femmes cherchant dans l’Extrême-Orient lointain un domaine ou leur modernité et leur sensibilité accompagnent la recherche de leur indépendance.
À la fin du XIXe siècle, la vague japonaise va accompagner les débuts d’une nouvelle technique, la lithographie et d’un nouveau mode de communication, l’affiche. Henri de Toulouse-Lautrec (1864-1901) est la figure emblématique de cette expression promise à un bel avenir et il trouvera dans les estampes japonaises une source d’inspiration qui influencera toute la génération suivante.
Bibliographie :
- Lionel Lambourne, Japonisme, échanges culturels entre le Japon et l’Occident, Phaidon, 2006
- Gabriele Fahr-Becker, L’estampe Japonaise, Benedikt Taschen, 1994
- Collectif, Van Gogh et le Japon, Actes Sud, 2018
- Collectif, Van Gogh, rêves de Japon, Pinacothèque de Paris, 2012
- Museu Picasso de Barcelona, Secret images : Picasso and the Japanese erotic print, Thames & Hudson, 2010
- Danièle Devynck, Toulouse-Lautrec et le japonisme, Musée d’Albi, 1991