Lilian May Miller, Tokyo Coolie Boy 1920

EXTRÊME-ORIENT,
UN REGARD OCCIDENTAL

Brown Pieter, Jehol Manchuria in winter
M. Keen et M. Lee, Séoul, Corée, 1951

CHARLES WILLIAM BARTLETT (1860-1940)

Charles W. Bartlett, né en 1860 en Angleterre, dans le Dorset, a une enfance heureuse, formé par un père comptable et une mère artiste qui l’initie très tôt à la peinture, choyé au milieu de cinq enfants. Cette enfance familiale et chaleureuse façonnera son caractère et l’orientera vers la recherche d’un bonheur tranquille, malgré les épreuves de la vie.

Après de bonnes études, un revers de fortune de son père l’oblige à entrer tôt dans la vie active et il travaille pendant ses jeunes années dans l’industrie métallurgique, consacrant ses loisirs à la peinture. À 23 ans, il prend la décision de se consacrer entièrement à l’art et réussit à entrer à l’Académie Royale de Londres. Trois ans plus tard, il part à Paris pour suivre, à la célèbre Académie Jullian, les cours de plusieurs maîtres de la peinture académique : William Bouguereau, François Benjamin-Constant, Jules Lefebvre et surtout Gustave Boulanger, un des hérauts du courant classique et du style néo-grec, qui résiste à l’impressionnisme naissant mais s’adonne aussi à la peinture orientaliste après de longs séjours en Algérie. Bartlett conservera d’eux une méfiance pour le modernisme qui va s’emparer de la peinture au XXe siècle et une ouverture vers l’orientalisme.

Charles W.Bartlett vers 1900
Charles W. Bartlett vers 1900

De retour en Angleterre, il se marie en 1890 avec Emily Frances Tate, mariage d’amour qui va finir en drame avec le décès, moins de deux ans plus tard, d’Emily et de l’enfant qu’elle venait de mettre au monde. Ravagé par le chagrin, Bartlett décide de partir pour un séjour en Italie puis en France, bénéficiant de la compagnie amicale d’un artiste prolifique, Frank Brangwyn, qui l’oriente vers le dessin, la gravure et l’aquarelle et qui est l’un des premiers à lui faire découvrir les estampes japonaises de son ami collectionneur Siegfried Bing. Il termine ce périple par plusieurs mois passés aux Pays-Bas, accompagné du peintre Nicolaas Jungmann, et il sera profondément marqué par la découverte de la prestigieuse peinture hollandaise.

Sa production artistique dans les quinze années qui suivent est le fruit des découvertes et des influences accumulées pendant ce voyage. Produisant des peintures à l’huile mais plus encore des aquarelles, le monde de Bartlett met en scène des paysages de Hollande ou de Normandie, des ciels bas, des canaux sinueux et des portraits d’humbles personnes, souvent empreints d’une sombre mélancolie. Il obtient un succès croissant, multipliant les expositions en Angleterre, en Écosse, en Belgique et en France, devenant membre de la Société Des Beaux-Arts à Paris et de la Société des aquarellistes de Belgique. Remarié en 1898 avec une écossaise aisée, Catherine Main, il mène la vie rangée et confortable d’un peintre actif, reconnu, mêlant classicisme et sensibilité à fleur de peau.

Envie de longues vacances lointaines, volonté d’échapper un temps à une création désormais routinière, le départ vers l’Asie en 1913 va se révéler être une véritable rupture : âgés pourtant de plus de cinquante ans, Charles W. Bartlett et son épouse ne reviendront jamais plus en Europe et la création de l’artiste connaît un total renouveau. Pendant trois ans, les époux Bartlett séjournent à Ceylan, en Inde, en Indonésie, en Chine et enfin au Japon, menant la vie confortable des riches voyageurs de l’époque, bien loin du drame européen né de la guerre qui s’enclenche alors. Mais pour Charles Bartlett, c’est surtout la découverte d’un monde nouveau, d’une Asie toute en couleurs qui prend peu à peu la place d’une Europe obscure, d’un Extrême-Orient qu’il n’avait fait qu’entrevoir vingt ans plus tôt quand il fréquentait Frank Brangwyn et les estampes japonaises de Siegfried Bing.

C’est aussi la confirmation que l’aquarelle et la gravure vont être désormais ses moyens d’expression privilégiés. Deux rencontres capitales vont aider à cette mutation. La première est celle d’Elizabeth Keith : artiste écossaise confirmée, elle s’est installée depuis un an au Japon et l’introduit dans le monde et la culture nippone. C’est elle aussi qui permet la seconde rencontre, celle de Shozaburo Watanabe. Celui-ci avait créé dix ans plus tôt une maison d’édition d’estampes, relançant les « images du monde flottant » (ukiyo-e) et initiant un mouvement artistique, le « Shin-Hanga » (nouvelles gravures), qui innovait en ajoutant aux techniques traditionnelles de l’estampe japonaise sur bois les jeux de la perspective et des ombres de la peinture occidentale. Entouré des meilleurs graveurs, imprimeurs, et créateurs japonais, mais aussi de peintres occidentaux attirés par l’Extrême-Orient comme Bartlett ou Keith, Watanabe rencontre un succès croissant au fil des années (l’entreprise est toujours en activité aujourd’hui).

Charles W. Bartlett et Watanabe réalisent, en 1916, 22 estampes : 12 faites sur la base du récent séjour en Inde et à Ceylan et 10 de sujets japonais. Ce sont les plus réussies de leur collaboration et elles assoient en une année et jusqu’à New-York la réputation de Bartlett comme un des premiers maîtres du tout nouveau mouvement extrême-orientaliste.

Udaipur, Inde, mai 1916 « Meditation at sunset » (CWB)
Udaipur, Inde, mai 1916 « Meditation at sunset » (CWB)
Ushibuse, Japon, 1916, “Fishing in the bay of Enoura. On the distant mountains is seen the profile of the Sleeping Bouddha” (CWB)
Ushibuse, Japon, 1916, “Fishing in the bay of Enoura. On the distant mountains is seen the profile of the Sleeping Bouddha” (CWB)

Poursuivant leur tour du monde, les Bartlett arrivent en 1917 à Honolulu. Fascinés par l’art de vivre hawaïen, ils décident de s’y installer et de renoncer au retour en Europe toujours en guerre. Commence une forme de retraite que palmiers et hibiscus enchantent mais que Bartlett met à profit pour se consacrer à son œuvre, alternant toiles parfois pointillistes, aquarelles et gravures, paysages hawaïens, scènes extrême-orientales, et portraits de la bonne société locale.

Hawaiian Fisherman, 1919, « Eager and watchful, he awaits his prey » (CWB)
Hawaiian Fisherman, 1919, « Eager and watchful, he awaits his prey » (CWB)

Il bénéficie de l’amitié active d’une puissante famille américaine installée à Honolulu, les Rice-Cook, dont Anna qui sera la fondatrice du musée d’Honolulu, aujourd’hui encore l’un des principaux centres artistiques du Pacifique. C’est avec elle et sa fille Alice qu’en 1921 il visite à nouveau le Japon, la Chine et l’Indonésie, autant de nouvelles occasions d’œuvres magnifiques.

Cependant la collaboration avec Watanabe deviendra plus difficile les années suivantes, compte tenu à la fois de la distance séparant le Japon d’Honolulu et des destructions dues au terrible tremblement de terre de Tokyo de 1923. Peu à peu, Bartlett va abandonner la technique de la gravure sur bois pour se consacrer à la gravure en taille douce. L’éclat de ses couleurs fait place à une palette moins contrastée, empreinte de nostalgie, mais son œuvre demeure puissante, faisant de lui un des plus prestigieux artistes extrême-orientalistes, reconnu comme tel au Japon et aux Etats-Unis. Il meurt à Hawaï en avril 1940.

Autoportrait, 1933.
Autoportrait, 1933

Bibliographie :

  • A printmaker in paradise, the art and life of Charles W.Bartlett, de Richard Miles et Jennifer Saville, Honolulu Academy of Arts, 2001

La collection

Khyber pass, 1916. ”A convoyed caravan passing from Afghanistan to India” (CWB). Coll. J.D.
Khyber pass, 1916. ”A convoyed caravan passing from Afghanistan to India” (CWB). Coll. J.D.
Negishi, 1916, Winter near Yokohama, “The folk plod heavily in the white beauty” (CWB). Coll.J.D.
Negishi, 1916, Winter near Yokohama, “The folk plod heavily in the white beauty” (CWB). Coll.J.D.
The great Buddha of Kamakura, Japon, 1916. Coll.J.D.
The great Buddha of Kamakura, Japon, 1916. Coll.J.D.
Peking, Gateway to Ming tombs, 1919, “In the hills beyond this wonderful gateway, along a road flanked by enormous sculptured animals, lie the tombs of the kings of the Ming dynasty” (CWB). Coll.J.D.
Peking, Gateway to Ming tombs, 1919, “In the hills beyond this wonderful gateway, along a road flanked by enormous sculptured animals, lie the tombs of the kings of the Ming dynasty” (CWB). Coll.J.D.
Silk merchants, Tarn-Tarn, India, 1919 : “They display their wares. The noon-day sun prints patterns on the white marbles by the lake” (CWB). Coll. J.D.
Silk merchants, Tarn-Tarn, India, 1919 : “They display their wares. The noon-day sun prints patterns on the white marbles by the lake” (CWB). Coll. J.D.
Benares early morning, 1919, “Far from the crowed river, the sacred oxen begin the day’s work half lost in dust and sunshine” (CWB). Coll. J.D.
Benares early morning, 1919, “Far from the crowed river, the sacred oxen begin the day’s work half lost in dust and sunshine” (CWB). Coll. J.D.
Summer palace, Peking, 1927, Etching hand-colored with watercolor. Coll. J.D.
Summer palace, Peking, 1927, Etching hand-colored with watercolor. Coll. J.D.
The imperial city wall, Peking, 1927, engraving hand–colored with watercolor.
The imperial city wall, Peking, 1927, engraving hand-colored with watercolor.

N.B. Sauf indications contraires, les œuvres ci-dessus présentées sont des gravures sur bois. Les phrases entre guillemets sont des annotations du carnet de notes de Charles W. Bartlett.