ELIZABETH KEITH (1887-1956)
On sait relativement peu de choses de la vie d’Elizabeth Keith. Soucieuse de préserver son intimité, elle s’est gardée de devenir un personnage public même si elle a beaucoup écrit pour présenter la majeure partie de ses œuvres dans deux ouvrages magnifiquement illustrés, Eastern windows et Old Korea. Elle est cependant considérée comme un des principaux piliers de l’école extrême-orientaliste.
Née en 1887 près d’Aberdeen en Ecosse, elle est issue d’un milieu modeste et n’a bénéficié d’aucune éducation artistique particulière malgré un don précoce et une passion dévorante pour le dessin. Sa rencontre avec l’Asie se fait à l’occasion d’une visite au Japon en 1915, alors qu’elle a déjà 28 ans. Sa sœur Jessie, à laquelle elle est très liée, s’est mariée avec J.W. Roberston Scott, journaliste et éditeur des « New East Press », et ils vivent confortablement à Tokyo dans le quartier d’Azabu. Les vacances prévues vont se transformer en un séjour de 9 ans ! Curieuse de ce monde nouveau, elle le découvre crayon et cahier de dessin à la main. Conscient de son réel talent, son beau-frère la convainc de répondre à une demande du Peer’s club de Tokyo de publication d’un ouvrage au bénéfice de la Croix Rouge : ce sera « Grin and bear it », carnet de caricatures sorti en 1917 où elle « croque » toute la bonne société de Tokyo, aussi choquée qu’amusée par ces portraits irrespectueux. La voilà lancée.
Très vite cependant, Elizabeth Keith trace sa voie. Elle se lie d’amitié avec Charles W. Bartlett et son épouse Kate et on verra bientôt l’influence que le peintre américain a eue sur sa création. Comme lui, elle multiplie les déplacements, non seulement au Japon mais aussi en Chine, en Corée, en Malaisie, à Singapour et aux Philippines, trouvant le gîte et le couvert chez des personnalités locales ou, plus souvent, au fond des campagnes, chez les missionnaires occidentaux. Elle est avide de paysages comme de visages, de costumes et de traditions et les recrée avec sensibilité et une grande humanité, en maîtrisant à la fois son trait et les couleurs de ses aquarelles. Le succès va naître de sa rencontre en 1919 avec l’éditeur Shozaburo Watanabe (1885-1962). Une fois de plus, celui qui est le moteur de la renaissance de l’estampe japonaise, fait le bon choix en pariant sur le talent de cette femme occidentale inconnue qui lui confie ses aquarelles pour qu’il les transforme en gravure sur bois. La première gravure publiée en 1920 est East gate, Séoul, Moonlight.
Elizabeth Keith acquiert en deux ans la connaissance des techniques de la gravure sur bois mais elle se contente de peindre les originaux et de contrôler les travaux de gravure et d’impression confiés aux artisans de Watanabe. En 5 ans, au prix d’un travail intense, elle réussit à créer une soixantaine d’estampes dont la plupart sont de purs chefs d’œuvre. Ces années sont aussi le début d’un vrai succès commercial, tant au Japon qu’aux Etats-Unis et en Angleterre.
En 1924, elle retourne en Europe et séjourne presque une année en France, près de Fontainebleau. Elle y apprend les autres techniques de la gravure et découvre la richesse des mouvements artistiques qui foisonnent en Europe dans les années vingt. Elle restera cependant toute sa vie fidèle à l’expression initiale de son art forgée en Extrême-Orient. De retour à Londres, elle vit à nouveau dans la maison familiale et ne cache pas dans ses écrits sa nostalgie des années passées. Elle continue à transmettre à Watanabe les aquarelles qu’elle réalise à partir des croquis qu’elle avait réalisés pendant ses périples en Asie, mais à un rythme moins intense. Elle passe parfois à la gravure sur cuivre. En 1927, elle publie avec sa sœur Jessie Eastern windows, an artist’s notes of travel in Japan, Hokkaido, Korea, China and the Philippines, ouvrage richement illustré qui renforce sa notoriété. Plusieurs expositions sont organisées aux États-Unis notamment à l’Honolulu Academy of Arts et au Pacific Asia Museum de Pasadena.
Pendant les années trente, elle fait encore trois séjours en Asie pendant lesquels elle rencontre à Séoul un autre monument du mouvement extrême-orientaliste, Paul Jacoulet, qui débute alors une œuvre majeure et elle revoit également à Hawaï ses amis Bartlett.
Mais ses productions deviennent plus rares. Elle réalise cependant encore quelques œuvres majeures avec des paysages malais, des portraits coréens et ceux d’acteurs du théâtre japonais. Avec l’aide à Chicago du peintre Bertha Evelyn Jaques (1863-1941) et à Portland de la célèbre collectionneuse Gertrude Bass Warner (1863-1951), elle organise en 1937 avec succès de grandes expositions et une tournée dans plusieurs villes des Etats-Unis. La même année, lors d’une autre exposition à Londres, plusieurs de ses œuvres sont acquises par la Reine Mary.
À partir de 1938, l’image du Japon se dégrade tellement qu’elle doit renoncer à exposer ses œuvres et les années de guerre la privent de toutes ressources financières. Elle cesse de peindre mais a encore la force de publier en 1946, toujours avec sa sœur Jessie, un magnifique ouvrage Old Korea, the land of morning calm. Elle s’éteint à Londres en 1956.
La personnalité d’Elizabeth Keith est difficile à cerner car la discrétion était pour elle une règle de vie. Célibataire endurcie, liée fidèlement toute sa vie à sa sœur Jessie, on ne lui connait pas de relations amoureuses mais elle avait un grand nombre d’amis. Elle n’a jamais eu d’enfants mais les a peint avec amour et talent. Elle a en permanence recherché une indépendance financière sans transiger sur sa volonté créatrice. Loin d’avoir eu une vie sage, elle n’a pas hésité à parcourir l’Asie dans des régions les plus reculées et à des périodes dangereuses, toujours avec la même intense curiosité pour les paysages, les cultures, les usages et les coutumes qu’elle découvrait, transcrivant toute une humanité dans ses dessins et ses aquarelles. Elle a également été profondément influencée par les idées nouvelles de l’église scientiste et a participé à des œuvres de charité pour les femmes chinoises et coréennes victimes des agressions japonaises. Toute cette force cachée apparaît dans une œuvre puissante qui comporte plus de 140 gravures. Sans aucune formation au départ, elle a réussi à se hisser au niveau le plus élevé parmi les orientalistes, reconnue par ses pairs comme par les artistes japonais qui travaillaient à la renaissance du monde de l’Ukiyo-e. Elle est aussi celle qui a le plus contribué à la découverte par l’occident de la culture et de la civilisation coréenne. Enfin, elle a indéniablement ouvert des chemins à Paul Jacoulet qui, sans l’avoir avoué, lui doit beaucoup.
Bibliographie :
- Eastern windows, an artist’s notes of travel in Japan, Hokkaido, Korea, China and the Philippines, by Elizabeth Keith, Houghton Mifflin Company, Boston, 1928
- Old Korea, the land of morning calm, by Elizabeth Keith and Elspet Keith Roberston Scott, Hutchinson & Co, Londres, 1946
- Elizabeth Keith, by Malcom C. Salaman, in Masters of the colour print (vol.9), The studio, Londres, 1933
- Elizabeth Keith, the printed works, by Richard Miles, Pacific Asia Museum, 1991