PAUL JACOULET (1896-1960)
Né à Paris en 1896, Paul Jacoulet suit sa mère trois ans plus tard au Japon où elle rejoint son mari nommé à l’Université de Tokyo. Il passera toute sa vie dans l’archipel nippon jusqu’à sa mort en 1960. Sa personnalité exceptionnelle est le fruit à la fois des soins apportés par ses parents pour lui donner une éducation artistique très poussée, en peinture comme en musique, et du suivi pendant toute sa scolarité du système éducatif japonais.
Encore enfant, son père l’amène à Paris pour découvrir les impressionnistes et les chefs d’œuvres de la peinture occidentale. De retour à Tokyo, il suit pendant toute sa jeunesse l’enseignement de grands maîtres japonais : Seiki Kuroda et Keichiro Kume qui lui apprennent la peinture à l’huile ; Terukata Ikeda et son épouse Shoen qui l’initient aux estampes du « monde flottant », l’ukiyo-e, et lui font découvrir l’œuvre d’Utamaro. Parallèlement, il étudie la musique classique japonaise en apprenant le Gidayu (récit chanté) et le shamisen (luth à trois cordes).
La première guerre mondiale, la mobilisation de son père en France, ses graves blessures, son retour à Tokyo dans des conditions difficiles et son décès en 1921, le retour en France de sa mère qui s’ensuit sont autant de contraintes qui l’obligent à travailler pendant une dizaine d’années comme traducteur à l’ambassade de France à Tokyo où l’ambassadeur, Paul Claudel, ne remarque pas ce jeune homme qui profite du moindre temps libre pour côtoyer les milieux artistiques et mener une vie de bohème. Il continue en effet à pratiquer la musique, l’aquarelle, collectionne papillons et estampes et s’initie à la technique de la gravure sur bois.
Sa mère est de retour en 1929. Elle s’installe en Corée, où exerce son nouveau mari japonais, professeur à l’Université de Séoul, et elle apporte dès lors à son fils le soutien qui lui permet de se consacrer entièrement à la peinture. Pendant une dizaine d’années, Il voyage intensément trouvant dans la découverte et l’observation de pays, de cultures et de personnages nouveaux les sujets de ce qui va devenir son œuvre. Îles du Pacifique, Corée, Mandchourie sont alors des territoires sous contrôle nippon qu’il visite à de nombreuses reprises et il y noue de fidèles amitiés. Il se lie notamment à partir de 1931 avec un jeune Coréen, Jean-Baptiste Rah, qui, avec son frère Louis, seront ses assistants et amis, partageant sa vie jusqu’à sa fin (en 1951, il adoptera Thérèse, fille de Jean-Baptiste, par attachement à cette famille).
D’abord aquarelliste (des centaines produites en quelques années), il choisit à partir de 1934 la technique de la gravure sur bois comme moyen d’expression principale et a l’intelligence de s’entourer des meilleurs graveurs et imprimeurs japonais de l’époque (Kazuo Yamagishi, Kentaro Maeda, Tetsunosuke Honda) qui reconnaissent vite en lui un des maîtres de l’ukiyo-e. Très tôt, ses estampes sont exposées à Tokyo, Osaka, Kobe, Yokohama, Séoul et Honolulu. On y découvre une sensibilité aiguisée mais aussi une démarche quasi ethnographique, une sensualité audacieuse couronnée d’une parfaite maîtrise technique, un monde coloré tout en rondeur et sourire mais qu’attriste la certitude de sa disparition proche.
L’entrée en guerre du Japon fin 1941 interrompt brutalement sa carrière. Isolé et affecté par le chaos grandissant, Il cesse ses activités pendant toute la durée du conflit. Afin d’éviter les bombardements, il est contraint de se réfugier à Karuizawa, village de montagne loin de la capitale où il est placé en résidence surveillée jusqu’à la fin de la guerre le 15 août 1945.
Cependant, dès 1946, encouragé par quelques américains membres des troupes d’occupation, il expose à nouveau à Tokyo, gratifié par une visite du Général Mac Arthur. Il reprend également la production de nouvelles estampes en regroupant à Karuizawa ses collaborateurs japonais graveurs et imprimeurs. Son succès dépasse dès lors le Japon et la Corée pour s’étendre aux Etats-Unis où de très nombreuses expositions de ses œuvres sont organisées par son agent personnel Michael Finkin. Parmi les acquéreurs de ses œuvres, on peut noter le Président Harry Truman, Mac Arthur, la reine Juliana des Pays-Bas, Marlène Dietrich, Edward G. Robinson… Il visite différentes régions nippones en quête de nouveaux sujets d’inspiration pour des portraits toujours empreints de la même humanité. A la fin 1954, il entreprend un voyage autour du monde, passant par Hong Kong, Singapour, l’Australie, la Nouvelle Calédonie, Tahiti, Panama, la Martinique mais se voit refuser un visa pour les États-Unis plongés alors dans le maccarthysme. Quasiment aucune œuvre n’est sortie de ce long périple, comme si seule l’Asie inspirait l’artiste. Malgré la détérioration de sa santé due au diabète, il continue, à partir d’aquarelles peintes parfois il y a de nombreuses années, à créer de nouvelles estampes. La dernière, La tragédienne, Mandchoukuo, est datée de janvier 1960. Il décède le 9 mars dans sa maison de Karuizawa et est enterré dans le cimetière d’Aoyama à Tokyo.
Acquises par de nombreux musées américains, ses œuvres y font l’objet d’expositions depuis maintenant plus de soixante ans. Paradoxalement, Paul Jacoulet est resté longtemps totalement inconnu en Europe et tout particulièrement dans son pays d’origine. Ce n’est qu’en 2011 qu’une première exposition est réalisée à la Bibliothèque Nationale de France. La consécration vient en 2013 grâce à la brillante manifestation organisée par le Musée du Quai Branly à Paris : « Un artiste voyageur en Micronésie, l’Univers flottant de Paul Jacoulet », musée auquel sa fille adoptive a fait donation de toutes les œuvres qu’elle possédait de son père, soit plus de deux mille pièces, essentiellement des aquarelles. À noter enfin, l’exposition d’une centaine de ses estampes par la Maison de la culture du Japon à Paris en 2016.
Pourquoi l’importance de Jacoulet est-elle aujourd’hui reconnue ? Il apparaît à la fois comme un héritier spectaculaire de la peinture japonaise et accepté comme tel par les Japonais ; et comme l’un des rares peintres occidentaux à avoir choisi de décrire la diversité et la richesse des civilisations en nous offrant une série flamboyante de portraits d’hommes et de femmes des pays d’Extrême-Orient et des archipels du Pacifique. Il a appris à maîtriser parfaitement les techniques de la gravure sur bois, tout en confiant leur fabrication à des artisans japonais, mais n’a jamais simplement copié les grands maîtres qu’il aimait tant. Il a de même su dépasser l’exotisme de ses sujets pour magnifier par le trait et la couleur une humanité qu’il souhaitait belle. Cette recherche de la Beauté dans la Diversité est la marque d’une grande exigence, d’une sensibilité extrême, d’une intelligence profonde et d’un immense respect pour l’Autre. Elle fait de Paul Jacoulet un véritable précurseur de la pensée et de l’art contemporains, à l’égal de Paul Gauguin à Tahiti, de Victor Segalen à Pékin ou plus tard de Claude Lévi-Strauss et de ses « Tristes tropiques ».
Paul Jacoulet et la gravure sur bois
Paul Jacoulet a d’abord été un aquarelliste dont la collection prestigieuse de près de 2.000 œuvres est aujourd’hui au Musée du Quai Branly à Paris. Mais sa notoriété s’appuie sur de merveilleuses gravures sur bois où il utilise la technique japonaise traditionnelle de l’estampe en y ajoutant la précision de son trait, l’éclat de ses couleurs et la force de chacun des sujets présentés.
Un dessin au crayon précède en général la confection d’une aquarelle au trait précis qui préfigure l’œuvre terminale. L’artiste prend ensuite une photo en noir et blanc de l’aquarelle dont il tire un film très fin, cadré aux dimensions de la plaque de bois choisie et sur laquelle il le colle. Le graveur réalise alors une première matrice où apparaissent les contours. Paul Jacoulet compose alors les couleurs et indique au graveur l’emplacement de chacune d’entre elles. Le graveur exécute alors le nombre de matrices nécessaires en fonction du nombre de couleurs. Il peut cependant utiliser une même matrice pour des zones de couleur non voisines ou pour plusieurs nuances d’une même couleur. Le nombre de matrices nécessaires peut être de quinze à trente en fonction de la diversité des couleurs. Le processus se complique encore par l’adjonction fréquente de mica, de fils d’or ou d’argent, ou par l’ajout d’un gaufrage. Le bois utilisé pour les matrices est du cerisier.
L’impression est effectuée par un imprimeur hautement spécialisé : elle se fait progressivement par passages successifs de la feuille sur chacune des matrices. Une estampe peut nécessiter ainsi des dizaines de passage à l’impression, parfois plus de cinquante pour les œuvres les plus complexes. Paul Jacoulet utilise son propre papier qu’il fait venir spécialement de Fukui et sur lequel figure en transparence ses initiales « PJ ». Les tirages réels étaient en général de 50 à 150 exemplaires.
Pendant plus de 30 ans, un groupe fidèle de 7 graveurs et imprimeurs participent à la confection de l’œuvre, dont le plus célèbre graveur de cette période, Kentaro Maeda. En marge de chaque estampe figurent les timbres du graveur et de l’imprimeur et sur l’estampe elle-même apparaît la magnifique et large signature de Paul Jacoulet qu’accompagne toujours un des sceaux créés par le Maître. 17 sceaux différents ont été recensés et correspondent à des séries ou à des périodes. De 1934 à 1960, Paul Jacoulet a réalisé au total 162 estampes, la quasi-totalité étant des Oban de 39 x 26 cm. S’y ajoutent quatre Surimono de taille plus réduite (15 x 10 cm), créés pour des commémorations.
Paul Jacoulet et les aquarelles
Compte tenu de leurs tirages (généralement entre 30 et 150), Paul Jacoulet est surtout connu pour ses estampes. Mais il est aussi un aquarelliste exceptionnel. On estime à près de 2000 le nombre de ces œuvres, quelques-unes effectuées de 1911 à 1928 (on en trouve deux exemples ci-dessous qui montrent que Jacoulet était alors très « japonisant ») mais la plus grande part de 1929 à 1949, période où s’affirme le style unique de l’artiste. Une sélection de 700 aquarelles est présentée dans le catalogue de l’exposition de 2013 au Musée du Quai Branly à Paris. Beaucoup ont été faites in situ lors de voyages, notamment en Micronésie et en Corée. Elles sont très élaborées et la plupart offrent des portraits plein de tendresse de personnes rencontrées. 166 aquarelles ont donné lieu à des gravures sur bois.
Les aquarelles sont très rares sur le marché et de prix élevés et donc aucune ne figure malheureusement dans ma collection. On trouvera cependant ci-dessous quelques photos d’aquarelles rarement présentées.
Bibliographie :
- Paul Jacoulet wood-block artist, by Florence Wells, Foreign Affairs Association of Japan, Tokyo, 1957
- Paul Jacoulet, Rainbow of color, by Steward Teaze, manuscript non publié, 1961
- The prints of Paul Jacoulet by Richard Miles, Pacific Asia Museum, Pasadena, 1982
- Watercolors of Paul Jacoulet, by Richard Miles, Pacific Asia Museum, Pasadena, 1989
- Paul Jacoulet, by Kiyoko Sawatari et Chistian Polak, Yokohama Museum of Art, Yokohama, 2003
- Paul Jacoulet’s Vision of Micronesia, by Don Rubinstein, ISLA Center for the Arts, University of Guam, 2007
- Un artiste voyageur en Micronésie, L’univers flottant de Paul Jacoulet, sous la direction de Christian Polak et de Kiyoko Sawatari, Musée du Quai Branly, Paris, 2013