JOHN WILLIAM WINKLER (1894-1979)
On peut hésiter à introduire John Winkler dans cette revue du mouvement extrême-orientaliste. Il n’a jamais voyagé en Asie, n’a pas été influencé par le « japonisme » et ne portait pas un grand intérêt aux Maîtres de l'Ukiyo-e. Il y figure cependant pour avoir été un des plus significatifs des artistes américains qui vivaient à San Francisco au début du XXe siècle et qui « voyaient » l’Asie à travers la Chinatown et ses habitants. Fin XIXe, Helen Hyde, avant de faire le grand saut vers le Japon, avait subi la même fascination pour les enfants de Chinatown, et dans les années 1910-1920, les Californiens Ester Hunt, Leon Figheira ou Joe Celona choisiront, en peinture comme en sculpture, les mêmes sujets. Tous participèrent activement à forger une représentation de l’Extrême-Orient dans l’imaginaire occidental en lui accordant une attention, certes un peu lointaine, mais curieuse et bienveillante, comme celle qu’apportaient, au même moment mais avec une plus grande ambition, les artistes qui avaient franchi le pas de s’y expatrier.
John Winkler était lui-même un immigré qui fit preuve d’une intense volonté de s’assimiler au pays où il voulait vivre, témoin flamboyant de ce qu’était à l’époque le rêve américain d’une partie de l’Europe. Né à Vienne en Autriche, il s’échappe du milieu familial à 16 ans pour tenter l’aventure aux États-Unis, changeant définitivement d’identité au point que personne ne connaît encore aujourd’hui son véritable nom de naissance. Après une année passée dans le Nebraska à « s’américaniser », il parvient en 1912 à s’inscrire au San Francisco Institut of Art où il bénéficie d’une bourse et y apprend pendant plusieurs années le dessin et l’art de la gravure. Il a la chance d’avoir pour professeur principal le peintre Theodore Wores (1859-1939), grand ami de James Whistler (1834-1903), tous deux ayant été les meilleurs relais du « japonisme » aux Etats-Unis. Ce sont les gravures de Whistler qu’il découvre en 1915 qui ont eu sur lui la plus grande influence. Cette même année, à sa première exposition au Golden Gate Park Memorial Museum de San Francisco, ses gravures voisinent avec celles de Theodore Wores et d’Helen Hyde. Il n’a que 21 ans !
Dès 1916, il se plonge dans les profondeurs de la Chinatown et, pendant 5 ans, fait du spectacle quotidien des rues le thème principal de ses gravures, tout en gagnant sa vie comme allumeur de réverbère ! Il grave ses plaques de cuivre en plein air, dessinant rues, boutiques, étalages et personnages, et, jamais satisfait, améliore sans cesse ses créations de retour chez lui, multipliant les états parfois pendant plusieurs années, veillant toujours à faire le travail d’impression lui-même. En 5 ans, au prix d’un travail acharné, il réussit à produire près de 80 gravures dont certaines ne seront finalisées que dix ans plus tard. Très vite remarqué pour la dextérité et l’originalité de ses dessins, il expose ses œuvres à New York, Chicago, Boston avant de bénéficier d’expositions exclusives à Los Angeles en 1920 et à San Francisco l’année suivante.
1921 est une année charnière : celle de sa naturalisation américaine ; celle de sa rencontre avec la plus célèbre graveur américaine de l’époque, Bertha Jaques (1863-1941), qui l’aidait déjà depuis plusieurs années à asseoir sa notoriété ; et enfin celle de son départ pour l’Europe. Une nouvelle page de sa carrière s’ouvre alors : pendant 7 ans, il se partage entre la France et l’Angleterre, sans modifier son style mais en l’appliquant à de nouvelles scènes. Il organise plusieurs expositions à Paris comme à Londres tout en continuant à bénéficier de ventes aux États-Unis par le biais de galeries célèbres.
Après son retour aux États-Unis en 1928, il continuera plus modestement mais pendant une cinquantaine d’années à entretenir l’intérêt de ses fidèles, avec l’appui de John Taylor Arms (1887-1953), graveur américain réputé et fortuné qui voyait en Winkler un Maître plus accompli que lui-même.
Il meurt en 1979 dans sa Californie d’adoption.
Bibliographie :
- John W. Winkler, American Etcher, by Mary Millman and Dave Bohn, Capra Press, Santa Barbara, 1994