KATHARINE JOWETT (1882-1972)
Katharine Jowett est un cas particulier parmi les peintres extrême-orientalistes : elle apparaît sans prétentions, artiste plus par divertissement que par vocation, active pendant une assez courte période dans une vie pourtant assez longue, ne traitant qu’un seul sujet – Pékin – et adepte de la technique de la linogravure plus simple que la gravure sur bois. Et pourtant, la cinquantaine d’œuvres que nous connaissons d’elle affichent un réel savoir-faire et une forte originalité qui la classent sans conteste parmi les meilleurs.
Catherine Alice Wheatley est née en 1882 en Angleterre, dans une famille très religieuse : son père, Timothy Wheatley, était Révérend à Exeter de l’Église Méthodiste fondée au XVIIIe siècle par John Wesley. Sa mère appartenait à la famille Pearse, Quakers militants de Sticklepath, petit village du Devon près d’Okehampton. On ne sait rien de sa jeunesse sauf que sa famille était à Londres en 1891 où elle ne semble pas avoir bénéficié d’une formation artistique. En 1904, elle part en Chine avec un missionnaire méthodiste avec lequel elle vit quelques temps mais finit par épouser, en 1910 à Hankow (Wuhan), un autre méthodiste, Hardy Jowett. De cette union, naîtront deux garçons que Katharine Jowett (qui a préféré prendre cette orthographe pour son prénom) semble avoir élevés un temps en Angleterre jusqu’au lendemain de la première guerre, période où elle s’est vraisemblablement initiée à la gravure.
Né en 1872 à Bradford dans le Yorkshire, Hardy Jowett était parti en Chine en 1896 rejoindre une mission de l’église méthodiste à Changsha puis à Hankow (Wuhan). Pendant la première guerre mondiale, il est agent recruteur pour le corps des travailleurs chinois envoyés en Europe avant de servir sur le front en France. De retour en Chine, les Jowett s’installent d’abord à Wei Hai Wei puis à Pékin où Hardy a été nommé directeur de l’Asiatic Petroleum Company. Il est pendant une quinzaine d’années un membre actif de la communauté étrangère à Pékin, notamment auprès d’organisations humanitaires, et devient un grand connaisseur de la capitale chinoise comme le prouve la préface qu’il accorde en 1927 au livre de Robert W. Swallow, Sidelights on Peking life. On imagine l’influence qu’il a pu avoir sur sa femme Katharine dans la découverte détaillée de la capitale chinoise.
Car celle-ci a consacré la quasi-totalité de son œuvre à peindre Pékin et plus particulièrement ses monuments. Si elle a fréquenté Bertha Lum, autre grande figure du mouvement extrême-orientaliste qui séjourne ces années-là dans la capitale chinoise et pratique parfois la linogravure, on ne décèle cependant pas d’influences entre elles. Car, Katharine Jowett reste résolument dans une démarche personnelle : elle semble peindre pour son plaisir, sans souci de ce qui se fait ailleurs et sans volonté de s’inscrire dans les courants picturaux de l’époque, même si certains croient voir dans son style l’influence de la Grosvenor School ou de Isabel de Bohun Lockyer. La technique de la linogravure, le choix d’encres huileuses et l’usage de papier de qualité médiocre donnent parfois à ses gravures une allure impressionniste que renforcent l’absence de netteté des traits du dessin et le vide des visages de ses personnages des rues. Sa technique a sa faiblesse – parfois un affadissement de ses gravures avec le temps – mais aussi un avantage immédiat : un coût réduit qui lui permet d’écouler facilement ses estampes, toujours de dimensions modestes, tant auprès d’amateurs chinois que d’expatriés. Vérité ou légende, on dit que Mao Zedong acquit plus tard quelques-unes de ses œuvres…
Elle semble avoir limité son travail après la mort de son mari en 1936 mais le célèbre collectionneur Robert O. Muller (1912-2003), qui lui rendit visite à Pékin en 1940, put lui acheter encore un certain nombre de ses gravures.
Un épisode malheureux va survenir lors de la seconde guerre mondiale : comme beaucoup d’expatriés des pays alliés résidant en Chine, elle est internée par les japonais de 1943 jusqu’à la fin de la guerre dans le camp tristement célèbre de Weihsien (Weixian) dans le Shandong. Malgré la dureté des conditions de vie dans ce camp, elle a le bonheur de se lier intimement avec un autre prisonnier et le courage de continuer à peindre quelques aquarelles. Par chance, j’ai pu acquérir il y a quelques années quelques-unes de ces rares et émouvantes peintures faites à Weihsien qui sont présentées pour la première fois ci-dessous.
Après la guerre, Katharine Jowett retourne près de sa famille à Okehampton et continue à peindre des aquarelles sur la campagne du Devonshire. Décédée en décembre 1972, elle est enterrée à Sticklepath dans le cimetière Quaker fondé par son grand-père maternel Thomas Pearse.