BERTHA BOYNTON LUM (1869-1954)
Née Bertha Boynton Bull en 1869 dans l’Iowa des États-Unis, elle est originaire d’un milieu bourgeois avec un père avocat d’affaires et une mère institutrice qui lui ont donné, très jeune, le goût de la création artistique. Son parcours commence véritablement en 1895, alors qu’elle a déjà 26 ans, quand elle s’inscrit à l’Art Institute of Chicago. Créé dès 1879, cet Institut est à la fois une des meilleures écoles d’art des États-Unis et un musée, bientôt le deuxième du pays pour la richesse de ses collections, cet ensemble ayant profité pleinement de l’organisation par la ville de Chicago de la grande exposition universelle de 1893. C’est sans doute à cette occasion, au pavillon japonais, que Bertha découvre les estampes pour la première fois. Cette même année, l’Institut a aussi bénéficié du don de la collection du riche homme d’affaires Henry Field et Bertha a donc pu admirer les œuvres qu’elle contenait de Constable, Corot, Delacroix, Daubigny, Millet, Rousseau et beaucoup d’autres. Elle acquiert également les fondements de la technique du vitrail auprès de la meilleure spécialiste américaine de l’époque, Anne Van Derlip Weston, qui, d’évidence, a eu plus tard une influence sur sa période de création d’impressions en relief. Enfin, elle suit également les cours de l'illustrateur Frank Holme où elle a dû rencontrer le jeune Cyrus Leroy Baldridge. Mais c’est assurément l’enseignement d’Arthur Wesley Dow (1854-1922), et notamment son livre Composition, sorti en 1899, qui lui a permis de découvrir l’art japonais de la gravure sur bois. Sa première aquarelle connue est de 1900 et l’influence japonaise y est déjà visible.
La révélation intervient cependant à l’automne 1903 quand elle visite le Japon à l’occasion de son voyage de noces avec Bert F. Lum, avocat d’affaires de Minneapolis. Elle a raconté les difficultés qu’elle a eues pendant ses deux mois sur place à pénétrer les milieux très fermés, et à l’époque déclinants, du « monde flottant » de l’Ukiyo-e, mais aussi la certitude qu’elle avait enfin trouvé là son mode d’expression artistique. À son retour à Minneapolis, consciencieusement et seule, Bertha Lum apprend la technique de la gravure sur bois avec les outils qu’elle a rapportés de Yokohama et ses premières créations sont des portraits hésitants de geishas. Mais dès 1905, après avoir étudié les estampes d’Hiroshige, son talent et son originalité s’affirment.
Elle est de retour au Japon en 1907 et suit journellement pendant 3 mois le travail du graveur Bonkotsu Igami (qui travaillera plus tard avec Paul Claudel) et d’un maître imprimeur, formation accélérée qui lui permet à son retour de sortir plusieurs œuvres dans lesquelles éclate déjà son adresse dans les jeux d’ombre et de lumière ou pour rendre des paysages de nuit, de pluie et de neige.
En 1911-1912, lors d’un nouveau séjour de 6 mois au Japon (elle y amène également ses deux fillettes !), elle confie désormais ses aquarelles à une équipe de graveurs et d’imprimeurs travaillant sous ses ordres et parvient à être la première artiste occidentale à participer à la grande Exposition annuelle d’Art de Tokyo de 1912. Cette reconnaissance par les Japonais la fait découvrir la même année par les Américains, à Chicago comme à New York, puis en 1915 lors de la grande Panama-Pacific Exposition de San Francisco où elle obtient une médaille d’argent (Helen Hyde y a une médaille de bronze). Sa maîtrise technique se conforte encore après deux nouveaux séjours au Japon en 1915 et 1917, avant qu’elle ne s’installe en Californie dont les paysages lui inspirent quelques-unes de ses plus belles estampes, comme Point Lobos en 1920.
Elle est également fortement influencée par les œuvres du poète Lafcadio Hearn (1850-1904), britannique ayant opté pour la culture et la nationalité japonaise et qui décrit dans ses livres un monde d’histoires et de légendes que Bertha Lum va reprendre dans un grand nombre de ses estampes en y apportant une touche bien personnelle, peignant des personnages mythiques stylisés, souvent en mouvements tourbillonnants. Elle en fera également le thème de son livre richement illustré Gods, Goblins and Ghosts publié en 1922.
Toujours accompagnée de ses deux filles, elle décide alors de s’installer en Chine, d’abord à Wei Hai Wei, concession britannique dans le Shandong, puis à Pékin, pour découvrir la civilisation chinoise qu’elle va magnifier par des peintures de paysages, de temples ou de scènes de la vie quotidienne. Plus encore, tout en continuant à pratiquer les méthodes japonaises classiques, elle adopte aussi, en l’adaptant, l’ancienne technique chinoise de l’impression en relief : il s’agit de mouler un papier humide sur un bloc de bois sculpté, de le laisser sécher et de peindre à la main le papier ainsi gaufré en utilisant les lignes de relief pour déposer les différentes zones de couleur. Contrairement aux gravures sur bois classiques dont les exemplaires sont quasiment identiques après impression, celles en relief peuvent présenter ainsi des variations de couleur importantes. Parfois même, Bertha Lum n’a pas hésité à réaliser, à partir du même dessin et du même bloc, des gravures sur bois et des impressions en relief, créant ainsi des images miroir. Elle dirigeait d’excellents artisans graveurs et imprimeurs locaux pour l’aider à réaliser ces prouesses techniques. Cette maîtrise et la richesse de ses inventions créatives font d’elle un artiste à part dans l’école extrême-orientaliste.
Dans les années qui suivent, Bertha Lum se partage entre la Californie d’où elle organise de nombreuses expositions (en Amérique mais aussi en Europe) et l’Extrême-Orient (Chine, Japon, Singapour, Cambodge, Java, Bali) qui lui fournit toujours ses sujets de création artistique. Divorcée en 1925, ses moyens financiers faiblissent et la grande dépression de 1929 l’oblige à reporter ses projets d’exposition – et donc de ventes. Pour pallier ces difficultés financières, elle réalise plusieurs paravents et illustre des revues et plusieurs livres, notamment ceux de la princesse Mandchoue Der Ling (Yu De ling), ancienne dame de compagnie de l’Impératrice Tseu Hi (Ci Xi).
En 1933, elle est de retour en Chine et produit encore un assez grand nombre d’estampes, notamment des portraits de femmes sophistiquées rencontrées lors d’un voyage en Indonésie. Elle est contrainte d’abandonner son activité artistique en 1937 quand sa vue se détériore. La situation politique se détériore rapidement avec l’invasion par le Japon de la Chine du Nord mais Bertha Lum reste sur place. Âgée de près de 70 ans, elle reste proche de sa famille : sa fille ainée Catherine est mariée avec un homme d’affaires italien, Antonio Riva et ils vivent à Pékin ; la cadette Peter a épousé un diplomate anglais, Sir Colin Crowe, alors en poste à Shanghai. Mais quand la seconde guerre mondiale éclate, elle est contrainte de retourner aux États-Unis, à San Francisco d’abord où se tient en 1941 sa dernière exposition, puis à Washington et enfin à New York.
En 1948, malgré les sombres perspectives locales et une santé fragile, elle revient à Pékin où habite toujours sa fille Catherine et son gendre. Le drame se noue en 1950 quand ce dernier est arrêté et emprisonné par les nouvelles autorités communistes, Bertha Lum, sa fille et ses quatre enfants étant pour leur part consignés dans leur maison. En août 1951, Antonio Riva est exécuté sans procès. Bertha Lum, désormais infirme, n’obtiendra la permission de quitter la Chine qu’en avril 1953. Elle décède en février 1954 chez sa fille en Italie, à Gênes, où toutes deux s’étaient réfugiées.
Dominent chez Bertha Lum le courage et la volonté : elle a mené la vie d’artiste qu’elle souhaitait, surmontant tous les obstacles qui se présentaient à elle - sa condition féminine, son statut de femme mariée et de mère de famille, une courte formation artistique au départ - et ne sacrifiant jamais à la facilité : toujours en mouvement, elle n’a quasiment jamais passé plus de deux ou trois ans au même endroit, sillonnant les mers et les continents, animée par une curiosité insatiable, avec comme ligne directrice la connaissance des civilisations asiatiques et la volonté d’en transmettre à l’Occident le meilleur par son art. Ces qualités personnelles expliquent la diversité, l’originalité et la richesse de son œuvre qui continue à nous surprendre aujourd’hui.
Bibliographie :
- Bertha Lum, by Mary Evans O’Keefe Gravalos and Carol Punil, Smithsonian Institution Press, Washington, 1991
- Gods, Goblins and Ghosts: the Weird Legend of the Far East, by Bertha Lum, JB Lippincott Cy, Philadelphia, 1922
- Peiping, by Bertha Lum, The Canadian Pacific Railway, Montreal, 1931
- Jades and Dragons, by Princess Derling, illustrated by Bertha Lum, The Mohwak Press, New York, 1932
- Golden Phoenix, by Princess Der Ling, illustrated by Bertha Lum, Dodd, Mean and Cy, New York, 1932
- Imperial Incense, by Princess Der Ling, illustrated by Bertha Lum, Dodd, Mean and Cy, New York, 1933
- Peiping and North China, by Peter Lum, illustrated by Bertha Lum, The Tientsin Press, Tientsin, 1934
- Gangplanks to the East, by Bertha Lum, The Henkle-Hewdale House, New York, 1936
- Peking, 1950-1953, by Peter Lum, Robert Hale Ltd, London, 1958
- My Own Pair of Wings, by Peter Lum, Chinese Materials Center, San Francisco, 1981
Liens : https://www.bertha-lum.org/