PAUL JACOULET ET LE JAPON
Arrivé à Tokyo en 1899 à l’âge de trois ans, Paul Jacoulet est sans doute l’artiste français le plus « japonais » du XXe siècle. Il fait toute sa scolarité à l’école publique japonaise et, grâce aux relations de ses parents, il bénéficie très jeune de cours et de conseils des meilleurs artistes de l’époque : les peintres Seiki Kuroda et Keiichirô Kume qui, revenus de longs séjours en France, lui enseignent les techniques de la peinture de style occidental ; l’écrivain Yone Noguchi, son épouse américaine la journaliste Léonie Gilmour et leur fils Isamu Noguchi (avec qui il se lie d’amitié et qui deviendra un sculpteur et designer célèbre) : c’est chez eux qu’il découvre les estampes d’Utamaro qui exerceront une influence déterminante sur lui ; la calligraphie qu’il apprend avec un ancien Samouraï ; enfin, Ikeda Terukata et son épouse Shôen, couple d’artistes réputés auprès duquel, dès l’âge de 12 ans, il s’exerce à l’aquarelle et à la gravure sur bois. Cette formation unique permet à ce jeune Français de partager les meilleurs aspects de la culture japonaise classique et d’entrer progressivement dans le monde étroit de l’ukiyo-e, « les images du monde flottant ».
Quand son père meurt en 1921 des suites d’une intoxication par les gaz sur le front de Verdun et que sa mère décide de rentrer en France, Paul Jacoulet fait le choix décisif de rester à Tokyo et lie désormais son destin à celui de son pays d’adoption. Depuis sa victoire militaire sur la Chine (1895) et sur la Russie (1905), le Japon est devenu un empire grandissant que le traité de Versailles de 1919 va encore accroître : Taïwan, le Shandong, la Corée, les îles de la Micronésie passent sous son contrôle. Suivront dans les années 1930 une série d’agressions et d’occupations en Chine, préludes à la seconde guerre mondiale.
Sa jeunesse, dans les années 1920, est bohème. Un travail d’interprète à l’Ambassade de France lui laisse le temps libre de s’adonner à ses passions : le dessin et l’aquarelle ; l’achat d’un grand nombre d’estampes des meilleurs maîtres japonais ; une collection exceptionnelle de papillons ; mais plus encore le théâtre et la musique traditionnelle. Il passe ses soirées au milieu de jeunes japonais qui s’adonnent comme lui au théâtre narratif (Gidayu-Joruri) et les accompagne au luth à trois cordes (Shamisen) qu’il a appris dès son enfance.
À partir de 1929, le soutien financier de sa mère remariée lui permet de jouir de toute sa liberté, d’entreprendre de nombreux voyages et de choisir définitivement la peinture comme moyen d’expression et les hommes et femmes qu’il rencontre comme sujets d’innombrables portraits. Il trouve notamment son inspiration dans différentes régions de l’archipel nippon : la péninsule d’Izu où, enfant, il passait ses vacances (Le phare de Mikomoto, Fleurs d’hiver), et où est né son ami de cœur, le jeune Yujiro Iwasaki ; la grande île au nord d’Hokkaido avec son peuple aïnou qu’il est le premier à peindre ; la région d’Ibaraki (Vieille marchande de carpes) chez son ami Yasushi Murayama ; en passant par les îles de Sado (Les danses d’Okesa), et vers la fin de sa vie, l’île d’Oshima célèbre pour ses camélias (Les graines de camélias). Quand en 1934 il décide de produire des gravures sur bois, il s’entoure des meilleurs graveurs et imprimeurs de l’archipel dans un souci de perfection dont il recule toujours les limites. Reconnu comme un égal des grands maîtres de l’Ukiyo-e, ses œuvres font l’objet de multiples expositions de 1934 à 1941, tant à Tokyo, qu’à Yokohama, Kobe, ou Osaka.
Le choix du Japon, il l’assume enfin dans la guerre, la défaite et l’occupation : dès la mi-1942, il doit cesser de produire ses estampes (il continue cependant à peindre des aquarelles dont une vingtaine donneront lieu à des gravures après la guerre) ; en 1944, il doit fuir les bombardements de Tokyo et il se réfugie à Karuizawa, dans les montagnes du département de Nagano, à 200 km de Tokyo ; à partir de mars 1945, quand les Japonais prennent le contrôle de l’Indochine française, il est mis en résidence surveillée en même temps que deux compatriotes, le journaliste Robert Guillain et le peintre Noël Nouet ; après la guerre, lors de l’occupation du pays par les troupes US, il bénéficiera pleinement de l’aide et de la reconnaissance des officiers, ce qui le lancera aux Etats-Unis où son succès dure encore aujourd’hui ; mais il sera victime du maccarthysme quand en 1955 il se voit refuser le visa d’entrée sur le territoire américain.
C’est en terre japonaise qu’il repose, au cimetière d’Aoyama de Tokyo, aux côtés de son père.