La carrière artistique de Paul Jacoulet ne prend son envol qu’à partir de 1929. Il a déjà 33 ans. Jusqu’alors, il a dessiné, copié des estampes et fait quelques aquarelles mais a surtout mené une vie de bohème. Deux événements l’amènent à prendre un nouveau chemin : le soutien financier que lui apporte sa mère revenue de France et qui lui permet de jouir d’une grande liberté et de se consacrer entièrement à la peinture ; et surtout la découverte des îles du Pacifique, auxquelles il faut ajouter les Célèbes, déclenche en lui des vagues d’émotions qui sont les sources d’une production exceptionnelle d’innombrables aquarelles dont une partie donnera naissance aux estampes à partir de 1934.
Ses fréquents séjours dans les îles, entre 1929 et 1932, lui offrent plusieurs amitiés masculines mais aussi la lumière et les couleurs qui vont inonder ses peintures. Il est fasciné par une nature bariolée extravagante et par des populations d’une grande simplicité et pourtant d’une riche apparence, qui sont pour lui autant de portraits vivants qu’il pare de bijoux, de tatouages, de fleurs pour mettre en valeur une culture et une civilisation en voie de disparition. Les îles « paradisiaques » que sont les Carolines, les Mariannes et les Marshall ont en effet subi depuis des décennies la lente pénétration des missionnaires, des Espagnols, des Américains et des Allemands avant de connaître depuis 1919 la dure colonisation du Japon agissant sous couvert du Mandat que lui a accordé la Société des Nations après le Traité de Versailles.
Les populations fragilisées se composent alors de deux groupes principaux : d’une part, les citadins des quelques villes et ports où se concentre l’activité économique, anciennement installés et souvent christianisés, au sang mêlé, menant des vies simples, aux vêtements stricts et en voie d’intégration au monde moderne. Plusieurs de ces familles - les Nedelec, Hartmann, Sablan - accueillent Paul Jacoulet avec un grand sens de l’hospitalité et elles sont peintes par l’artiste avec respect et admiration ; et d’autre part, les habitants des campagnes ou des plages, appelés « indigènes », généralement sans travail, qui ont gardé leurs coiffures colorées, leurs tatouages savants, leurs bijoux traditionnels et leurs déshabillés et dont le mode de vie et la culture sont en péril. L’artiste fréquente ces deux mondes avec la même empathie, mêle ethnographie précise et douce volupté, y noue des amitiés et des affections profondes ou passagères, pleinement conscient de l’urgence de fixer par ses dessins, aquarelles et estampes l’exceptionnelle richesse de ces sociétés traditionnelles.
Son témoignage a ici la même force que ceux de Paul Gauguin et de Victor Segalen à Tahiti quand, trente ans plus tôt, par la peinture ou par l’écrit, ils alertaient l’Occident sur l’agonie de la civilisation maorie. Paul Jacoulet a lui pour argument principal l’exceptionnelle « visibilité » des personnages qu’il met en scène, parfois dans leur nudité et leur simplicité, parfois parés comme des seigneurs, sérieux ou provocants, empreints d’une profonde tristesse ou esquissant un sourire apaisé, mais toujours porteurs d’une infinie beauté qu’il a le don unique de nous révéler.
La collection
Les trois estampes ci-dessus font partie d’une série nommée « Rainbow , seven women of the South Seas », qui reprennent les couleurs de l’arc-en-ciel. Les jeunes femmes habitaient l’île de Saïpan des Mariannes du Nord.